Straight to Sloane's head! |
Most bibliographers and librarians attribute the book Histoire de la Jamaïque, published by Nourse 1751, to the British author Sir Hans Sloane. Wrong ! This Histoire... is a translation of a work published in Edinburgh in 1739 by Charles Leslie. Let's re-write the history of a confused history.
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L'Histoire
de l'Histoire de la Jamaïque
Par Thibault Ehrengardt
La plupart des bibliographes et des libraires attribuent Histoire de la Jamaïque (Nourse, 1751), à l’auteur anglais Sir Hans Sloane.
Il s’agit en fait d’une traduction de A New and Exact Account of Jamaica,
publié en 1739 à Edinburgh et écrit par Charles Leslie. Anatomie d’une
confusion.
Lorsque l’Histoire de la Jamaïque sort en France en 1751,
l’ouvrage semble suspect. On le dit traduit de l’anglais mais le nom de l’auteur
n’apparaît pas, pas plus que celui du traducteur, curieusement désigné comme M***, Ancien Officier de Dragon. L’éditeur signalé, Nourse, à Londres, est
aussitôt assimilé à un cousin éloigné du fameux Pierre Marteau, libraire
hollandais imaginaire sous le nom duquel paraissent alors les ouvrages
interdits, ou pirates. Si l’éditeur réel (on le dit parisien) avait voulu
débiter ce livre sans rien verser à l’auteur, il ne s’y serait sans doute pas
pris autrement.
L’idée d’une Histoire de la Jamaïque semble alors plutôt
ingénieuse tant il est vrai que le sort de cette colonie des Caraïbes, ravie
aux Espagnols par les Anglais en 1655 et devenue leur joyau antillais,
passionne les Français du Nouveau Monde, installés à 160 kilomètres à peine,
sur l’île de Saint-Domingue (Haïti). Les deux colonies s’épient, s’épaulent ou
s’entredéchirent depuis toujours. C’est en pillant les Anglais de la Jamaïque
au tournant du 17e siècle que le Gouverneur Jean-Baptiste Ducasse lance son
établissement sur la voie glorieuse du sucre antillais. Sans compter que les
deux nations mères se disputent âprement le commerce des Amériques espagnoles - qui comprend celui très lucratif des esclaves. Connaître son ennemi s’avère
une sage précaution ; Ducasse le sait bien, qui paie grassement des espions
pour savoir tout ce qui se passe en Jamaïque. D’où l’intérêt de traduire un tel
livre.
L’ouvrage, qualifié de rare par les libraires et
bibliographes contemporains, semble avoir connu un certain succès en son temps.
Il n’a, néanmoins, jamais été réédité et ne se trouve actuellement, d'après worldcat.org, que dans 28
bibliothèques à travers le monde.
M.***
?
L'Histoire de la Jamaïque se compose de deux parties
imprimées au format in-12 (il n’existe pas d’édition in-4 a priori) collationnées comme suit :
- Vol. I : page de titre, avis du traducteur (2pp), 285pp.
- Vol. II : page de titre, 248pp.
Elle est illustrée de 6 planches dépliantes hors-texte, généralement reliées en queue du second volume, selon les indications de l’Avis du traducteur.
Traduite de l’Anglois, nous renseigne la page de titre,
Par M.***, Ancien Officier de Dragon. Ce mystérieux M*** ne serait autre que
Joseph Raulin, d’après les supputations de Sowerby et de Barbier. Médecin
ordinaire de Louis XV, auteur de nombreux ouvrages de médecine, Raulin a une
parfaite connaissance de l’anglais ; il devient même membre de la prestigieuse
Royal Society de Londres en 1763. Dans son avis du Traducteur, il dit que
l’ouvrage original lui est tombé entre les mains. Charmé par sa lecture, il
décide de le traduire et de l’offrir au public. Il ne cite ni le titre de
l’ouvrage anglais, ni le nom de son auteur. Pour le bibliophile Sabin, il
s’agit de la traduction d’une partie de l’œuvre d’Hans Sloane, opinion partagée
par la plupart des experts, dont le libraire Chadenat, spécialisé dans les
ouvrages touchant aux Amériques. De fait, la majorité des libraires continuent
d’attribuer à Hans Sloane cette traduction de l’ouvrage A New An Exact Account
of Jamaica de Charles Leslie, paru la première fois à Edinburgh en 1739 (1), comme
le confirme le site de la Bibliothèque Nationale de France : Attribué à Hans
Sloane et trad. par Raulin, d'après Barbier. Plus vraisemblablement attribué à
Charles Leslie, de la Jamaïque, par le catalogue de la British Library et
Conlon. Trad. de : A new and exact account of Jamaica.
The English title-page of Leslie's account (dr). |
Le moulin à sucre, l'une des 6 gravures de l'édition française. |
Boucher de la Richarderie estime que ce livre est une mine féconde pour les naturalistes par ses recherches et l'exactitude des descriptions botaniques. Il parle sans doute du travail de Sloane – ou en présumant de celui-ci ; car la partie accordée à l’histoire naturelle chez Leslie s’avère relativement modeste. Ce qui n’empêche pas l’éditeur de remplacer les deux cartes de la version anglaise du Leslie (l’une des Antilles et l’autre de la Jamaïque, dressée par Herman Moll) par six gravures majoritairement consacrées à la faune et la flore jamaïcaines. Un choix curieux pour ces gravures, elles aussi de pâles copies d’originales. Si le requiem, ou requin, et quelques-uns de ses amis marins semblent avoir nagé tout droit depuis l’Histoire des Antilles de Rochefort, l’artiste NP de Poilly a apparemment puisé son inspiration dans les illustrations du récit du Père Labat, paru quelques dizaines d’années plus tôt – notamment pour le moulin à sucre, les bananiers ou le régime de figues (bananes).
La confusion s’explique aussi par la méconnaissance des
originaux. L’ouvrage de Sloane, publié en deux fois en 1705 et 1725 s’avère
fort rare et peu accessible en France. Celui de Charles Leslie, de plus, est
réédité à Londres, en 1740… de manière anonyme ; ce qui pourrait expliquer que
la version française ne mentionne pas d’auteur. Néanmoins, il suffit de
feuilleter les trois livres (le Sloane, le Leslie et le « Raulin ») pour constater
que la version française est une adaptation fidèle du Leslie (2). « S’il s’agit
d’une édition pirate, souligne l’historien jamaïcain Frank Cundall, elle n’est
guère discrète. Les altérations de l’édition d’Edinburgh sont quasiment
inexistantes. On a ajouté la lettre X, une reprise de l’appendice de la
troisième édition d’Edinburgh ; du coup, l’ancienne lettre X est devenue la
lettre XI, entraînant un décalage répercuté (…) ». Quelques détails auraient pu
alerter le lecteur attentif. Sloane quitte l’île en 1688 alors que l’Histoire
de la Jamaïque nous entraîne jusqu’en 1739. Certes, le botaniste ayant gardé de
nombreux contacts dans l’île, aurait pu écrire d’après des documents puisqu’il
ne meurt pas avant 1753, à l’âge de 93 ans. Mais dans la même Histoire, on lit
en page 73 du second volume : « Le Bachelier Hans Sloane, aujourd’hui président
de la Société Royale, avait suivi ce Seigneur [le Duc d’Albermale, ndr] en
qualité de son médecin. Ce fut pendant son séjour ici, qu’il travailla à son
admirable collection de plantes qu’il a publiée depuis. » Voilà une manière
bien peu élégante de se tresser des lauriers ! Bien sûr, il ne s’agit pas de la
prose de Sloane mais bien de celle de Charles Leslie.
Au-delà de ces soucis de paternité, l’Histoire de la
Jamaïque s’avère un ouvrage sérieux, le premier aussi conséquent sur la
matière. On repère quelques inexactitudes, notamment concernant le flibustier
Henry Morgan (ses relations privilégiées avec les puissants, dont le Duc
d’Albermale qui était son grand ami de beuverie sont pudiquement oubliées)
; ainsi qu’une certaine partialité toute britannique sur les guerres avec les
Maroons, ces esclaves en fuite qui terrorisent la Jamaïque jusque dans les
années 1740 ; mais dans l’ensemble, les informations s’avèrent fiables et assez
pointues. Une lecture exaltante, donc - grâce aux nombreuses anecdotes et à un
style très vivant pour lequel M. Leslie ne doit rien à personne… pas même à
Hans Sloane.
© Thibault Ehrengardt
(2) Voici quelques lignes de la première lettre dans ses versions anglais et française.
(1) Pour compliquer encore les choses, il est ressorti l'année suivante sous le titre de A New History of Jamaica.
(2) Voici quelques lignes de la première lettre dans ses versions anglais et française.
La version anglaise:
LETTER I, Sir, Good Ship and easy Gales have at last brought me to this Part of the New World : New indeed in regard of ours. For here I find everything altered; and, amidst all the Variety which crowds (sic) upon my Sight, scarce see a Face that resembles the gay Bloom of a Briton. The People seem all sickly, their Complection (sic) is muddy, their Colour van, and their Bodies meagre; they look like so many Corpses, and their Dress resembles a Shroud. (…).
La traduction de Raullin:
LETTRE 1, Un bon vaisseau & un vent favorable m'ont enfin apporté dans cette partie du nouveau Monde, bien nouveau en effet par rapport à celui que nous habitons, avec qui celui-ci n'a aucune ressemblance. Dans cette grande variété d'objets qui se présentent à ma vue, à peine ai-je pu remarquer sur un seul visage l'oeil gai & le teint fleuri de l'Anglais. Tous les habitants ont l'air mal sain, le coloris pâle & terreux, & le corps maigre. On les prendrait pour des cadavres ambulants, encore revêtus de leur drap mortuaire (…).
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